Empêché de dormir

Au cœur des jours et des nuits

Empêché de dormir


Mon oncle m’avait prévenu : il ne faut jamais, au grand jamais, laisser un malade tout seul. Jamais. Il ne faut surtout pas le laisser fermer l’œil. Jamais. La mort pourrait en profiter pour vous l’arracher, et vous n’auriez plus que vos yeux pour pleurer. Les yeux, il convient donc de les ouvrir et de les tenir bien grands. De nuit et de jour.
Et j’ai compris pourquoi, lorsque je tombais malade et que je gardais le lit, des visites s’enchaînaient. Nuit et jour. Et surtout au petit matin. Lorsque la douleur vous a tenu éveillé durant la nuit, il se peut que la grâce d’un léger sommeil vous trouve au lever du jour. Mais vous n’avez pas le droit de dormir alors. Des visiteurs et visiteuses passent s’enquérir de votre état de santé. Comment avez-vous passé la nuit, quel goût avez-vous dans la bouche ? Et quelle tisane il vous faudra boire au courant de la journée… Et bien d’autres conseils de médecins aussi compétents les uns que les autres.

Mais j’ai compris plus tard que les visiteurs et visiteuses passaient saluer le malade pour se donner bonne conscience. Ils se levaient tôt pour aller aux champs, ils ne seraient de retour à la maison que lorsque le coq, qui vient de les réveiller, retournera lui aussi chez son maître après avoir déambulé toute la journée à la recherche de nourriture. Le lever et le coucher, les humains les partagent avec les autres créatures. Les malades ne doivent pas faire exception, d’après ce que j’ai compris de la vie au village, dans le village de mon enfance.
Et j’ai pensé que les médecins enseignaient et pratiquaient autre chose en ville. J’ai vu un horaire des visites affiché dans les hôpitaux publics et privés. J’ai entendu plusieurs fois des médecins recommander le repos. Le repos médical. J’ai fait l’expérience dans mon corps et dans mon esprit de l’importance du sommeil. Et je ne peux dire la peine que j’éprouve lorsqu’on brise mon sommeil. On ne me ferait pas un meilleur cadeau que de me laisser dormir. Et dormir. La nuit, ne m’appelez pas au téléphone. Mon téléphone est éteint.
Mais la dernière fois que j’ai rendu visite à un malade, un grand malade, il m’a dit n’avoir pas fermé l’œil depuis deux jours et deux nuits. Et qu’en pense son médecin ? Le malade m’a répondu que le médecin était aussi un pasteur. Et que chaque fois, tard dans la nuit et tôt le matin, l’hôpital devient une église. Le pasteur-médecin tape des mains, hurle des prières, entonne des chants. Beaucoup de malades se joignent à l’assemblée de prière. Et des voisins et des passants arrivent aussi. Et l’assemblée grossit comme une vraie église.
Le malade m’a dit que beaucoup d’autres se préparent à quitter l’hôpital. Ils ont raison. J’ai pensé à Jésus de Nazareth. Il a guéri beaucoup de malades. Il a dit qu’un jour, il dira à ses élus : J’étais malade et vous êtes venu me voir. Aux autres, il pourra dire : J’étais malade, et vous m’avez empêché de dormir.

Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu

jbmalenge@gmail.com

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