Elle mange dans la rue



Au cœur des jours et des nuits

Elle mange dans la rue


Ma nièce vendeuse de pain insiste pour que je fasse comme elle. Que je sorte le plus possible dans la rue, que je quitte les livres et l'ordinateur. Elle m'a conseillé de marcher le plus souvent comme elle-même. Ce que je faisais déjà sans attendre son conseil. Elle bat le trottoir matin et soir, elle rencontre des familles et des individus, et elle est fière de connaître vraiment ses compatriotes et ses contemporains.

Un panier de pain sur la tête, matin et soir, ma nièce va de maison en maison, de rue en rue, au service de clients fidèles. Aux passants, dans la rue, elle vend aussi son pain. Elle dépose alors le panier sur le trottoir, puis le reprend et poursuit son chemin. Des clients fidèles qui l’ont parfois surprise ainsi ont résilié le contrat avec elle. Mais ma nièce ne veut pas changer. 


Il lui arrive même de manger dans la rue, juste comme au village. Le panier en équilibre sur la tête, on occupe ses mains avec le repas du matin. Pas d’assiette alors, mais juste une feuille que l’on jette aussitôt fini le repas. Ne me demandez pas si l’on se lave alors les mains.

Dans la ville, ma nièce se comporte comme au village. Je lui ai fait remarquer combien il est malsain, insalubre d’exposer à l’air libre le pain à vendre et surtout de le vendre à des passants au bord du chemin. Ma nièce m’a demandé de la regarder de la tête aux pieds et de lui dire si elle avait l’air d’une malade. J’ai reconnu qu’elle était plutôt en bonne santé. Apparemment. C’est parce qu’elle mange dans la rue, m’a-t-elle assuré. Et elle s’est demandé pourquoi je persiste à manger comme je mange, toujours à table, avec fourchette, couteau et cuillère et même une serviette pour essuyer la bouche avant de prendre le verre et de boire.
Ma nièce a demandé s’il ne suffisait pas déjà que je lave les mains au savon avant de manger. Je lui ai répondu que les médecins nous mettaient en garde contre les maladies des mains sales. Ma nièce m’a répondu que pour sa part, elle n’était pas du tout sale, et que la preuve était là : elle se porte bien. Apparemment.

En fréquentant la rue chaque jour, le matin et le soir, ma nièce vendeuse de pain croit en savoir beaucoup plus que moi sur les levers des jours et les tombées des nuits. Elle précise qu’il ne s’agit pas de la lumière du jour qui augmente le matin ou qui baisse le soir. Il s’agit des hommes et des femmes qui pleurent ou qui sourient. 

Ma nièce reconnaît que nos compatriotes font bien d’autres choses qui ne conviennent pas en public et dont on ne peut parler. Des adultes et des enfants, qui jettent la salive partout, qui crachent même ou qui se bagarrent, cela doit retenir mon attention. J’ai dit à ma nièce que cela, je le savais tout comme elle, mais que je n’en parlerai pas.

Pourquoi ne pas en parler ? La question m’a poursuivi jusque dans le bus. Et j’ai pu lire dans ce bus un avertissement affiché à l’attention de tous : « Il est interdit de fumer, de cracher ou de jeter de la salive. »
Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu
jbmalenge@gmail.com

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